Compte-rendu de lecture d’article d’histoire ancienne – Invernizzi
Antonio Invernizzi, « Art parthe, art arsacide », Topoi, volume 17/1, 2011, pp. 189 – 207 ; Persée.
Antonio Invernizzi est Professeur d’archéologie et d’histoire de l’art à l’Università degli studi de Turin. Son travail de recherche est centré sur l’Empire parthe. Dans cet article, Invernizzi propose, sinon une redéfinition, une précision des perspectives historiques relatives aux réalités culturelles de l’empire parthe. Soucieux de distinguer les adjectifs « parthe » et « arsacide », qui peuvent recouvrir, en fonction des objets d’études, des éléments différenciés ou être synonymes, Invernizzi s’attèle à l’analyse des caractéristiques de l’art arsacide. Il focalise son attention sur Nisa, à l’ouest de l’empire parthe, ce qui implique de fortes influences hellénistiques et induit la problématique des contacts, de la nature de ces contacts, entre les monarchies hellénistiques – ou du moins les Grecs d’Asie – et les souverains arsacides – et plus globalement de l’empire parthe. Pour étayer son argumentation et ses pistes d’analyse, le chercheur s’appuie sur les vestiges de « la Salle ronde » de Nisa.
« Parthe » et « arsacide » : le piège sémantique
Invernizzi pose un préalable, il est de nature sémantique. Est-il approprié d’utiliser la dénomination « Empire parthe » indifféremment « d’empire arsacide », et donc de confondre en une seule et même réalité culturelle « art parthe » et « art arsacide » ? Le chercheur rappelle qu’ « Empire parthe » est une dénomination de l’antiquité, utilisée par les historiens d’alors – nous pensons aux Romains qui entretinrent, au moins jusqu’aux campagnes de Trajan, une « rivalité héréditaire » avec les Parthes pour le contrôle de la Mésopotamie. La confusion vient du nom du berceau de la première dynastie de l’Empire parthe, la Parthie. Aussi paraît-il plus pertinent à l’auteur de l’article d’utiliser la référence dynastique, « arsacide ». La difficulté est aussi posée par l’archéologie, qui utilise le terme « parthe ». De surcroît, l’historien russe Mikhaïl Rostovtzeff, spécialiste de l’histoire économique et sociale des mondes iranien, hellénistique et romain, proposait une définition de l’art parthe dans son ouvrage Dura and the problem of Parthian art (1935). La définition proposée de l’art parthe acquiert alors une valeur pas uniquement chronologique, mais implique également une qualification descriptive sur la nature des travaux concernés. Par ailleurs, Antonio Invernizzi ne manque pas de rappeler que l’espace géographique concerné a vu différents empires au fil des siècles : perse achéménide, séleucide – issu du Diadoque Séleucos –, arsacide et sassanide – rivaux et successeurs des Arsacides. L’autre facteur essentiel à prendre en compte est évidemment la propagation de l’hellénisme sous les règnes des souverains macédoniens, après le partage de l’Empire d’Alexandre le Grand, et ce, dans la zone d’influence des Parthes, où des traditions plus anciennes n’avaient pas perdu de leur vigueur dans certaines régions. Voilà qui pose la question des apports de la culture hellène, de l’Occident, dans l’Empire parthe, voire de leur subtil syncrétisme en matière de création artistique. Aussi Invernizzi assure-t-il que le travail que nous connaissons dans les différentes régions de l’Empire parthe est très diversifié et pas uniquement lié aux Arsacides. « Parthe » serait donc un terme générique, une sorte de dénominateur commun étendu sur une longue période chronologique. Ayant cette réserve à l’esprit, l’historien ne pourrait raisonnablement pas définir un travail comme arsacide s’il n’a pas été réalisé en connexion avec la dynastie. Il apparaît donc essentiel d’abord, de redéfinir les notions d’art arsacide et d’art parthe, ensuite de comprendre qu’il n’y a pas de notion culturelle précise qui corresponde aux termes géographiques « Parthie » et « Parthe ».
La ville de Nisa : caractéristique de l’art arsacide ?
Nisa n’est pas un siège ordinaire des Arsacides mais une fondation dotée d’un caractère spécial. Selon Invernizzi, Nisa est le centre d’une culture dynastique ! Aussi, si l’on veut assigner une valeur culturelle à la dénomination « parthe », il faut vérifier si cette dernière coïncide avec l’art arsacide de Nisa. Par ailleurs, le chercheur rappelle que la définition de Rostovtzeff repose sur le regard posé après la conquête romaine de Nisa, et appliqué à l’extrême ouest, aux provinces de l’ouest de l’Empire parthe. Nous aurons noté que même pour l’historien, la difficulté à trouver une alternative à l’adjectif « parthe » demeure. Adjectif utilisé depuis l’antiquité, codifié par les Romains pour dénommer l’art de l’Empire parthe comme un tout. Il semblerait donc que ce qui ait été négligé jusqu’ici est d’envisager l’art parthe comme le développement de faits dans l’espace et dans le temps, dans sa dimension historique. De surcroît, le chercheur évoque les pièces de monnaie : elles ont circulé dans l’espace sur toute la période arsacide. Cependant, elles ont été produites pour un usage spécifique, elles ont un nombre de modèles iconographiques limité. Si l’on étudie les pièces de monnaie, on ne peut se limiter à leur seul usage, mais l’on doit prendre en compte les variantes et les particularités stylistiques, y compris au niveau local.
Le terme « Arsacide » est par définition une valeur ciblée dans le temps, pas une valeur universelle. L’art officiel arsacide se définit essentiellement à partir de Nisa. Nous aurons été sensibles, à la lecture de l’article, à l’importance du modèle grec. Il est partout, immédiatement identifiable et a exercé une véritable influence. Il est perceptible dans les quatre groupes qu’Invernizzi présente comme illustratifs des goûts de la cour :
- les statuettes en marbre
- les statuettes en argile
Ces quatre groupes présentent des composants hellénistiques caractéristiques
des premiers temps de l’art arsacide
- les rhytons d’ivoire
- la fresque
Les statuettes en marbre
Invernizzi s’attarde sur les statuettes en marbre – d’un style purement hellénistique – ou plus précisément sur le sculpteur. Ce dernier, présent à Nisa, a utilisé différentes pierres, pour le haut du corps, puis pour les jambes et le vêtement d’Aphrodite, avant de la colorer. Ces œuvres, Aphrodite et Hekate, illustrent plusieurs éléments – de natures artistique et religieuse. Tout d’abord, les différentes tendances stylistiques sont la preuve de la vivacité de la vie artistique des Grecs en Asie centrale. Les sculpteurs s’inscrivaient dans une tendance et imprimaient leur marque. Relativement à la dimension religieuse, même s’il semble difficile de juger strictement sur ce plan car nous ne disposons pas de suffisamment d’informations sur les croyances des souverains arsacides, il apparaît la nécessité de comprendre la commande. La valeur de ces œuvres était-elle simplement ornementale ? Ces deux statuettes ne seraient-elles pas l’illustration d’un syncrétisme religieux, typique de la période parthe dans tout l’ouest de l’Empire ? C’est pourquoi Invernizzi propose que les rois arsacides aient vu l’image d’Hekate, laquelle serait une référence à la déesse Anahita – ou Ishtar – c’est-à-dire Aphrodite. En effet, Hekate-Anahita se rattache au thème de l’eau, et celui-ci est inhérent à celui d’Aphrodite Anadyomène. Anadyomène, « émergente », « sortie de l’eau » – Aphrodite naît de l’écume, après que Cronos a jeté le sexe tranché et ensanglanté d’Ouranos dans la mer.
La salle ronde
Nous ne nous étendrons pas sur les statuettes d’argiles, l’auteur de l’article précisant que les fragments sont trop petits et les objets pas à leur place originelle. Nonobstant, il nous semble important de nous arrêter sur ses précisions quant aux statues de la Salle ronde tant ils sont éclairants sur les influences hellénistiques. En effet, Invernizzi liste un certain nombre d’archétypes. À partir de la tête, dont il suggère qu’elle est celle de Mithridate Ier, et de la tunique plissée, il évoque un réalisme idéalisé à la manière grecque ; ainsi, la longue barbe de philosophe à l’aspect noble qui caractérise souvent les grands personnages des époques classique et hellénistique, tels Périclès ou Aristote. Ces éléments ont été introduits par les artistes qui accompagnaient les cortèges d’Alexandre. Plus éloquent encore : la demi-douzaine de statues de la Salle ronde de Nisa serait probablement un monument votif, pas moins qu’un hérôon, c’est-à-dire un édifice dédié à un héros, ici Mithridate. Si le style artistique est typique des traditions iraniennes d’Asie centrale, l’aspect fonctionnel serait influencé par le répertoire hellénistique. Il faudrait donc trouver un modèle grec : Invernizzi propose le Philippeion. La référence et l’effet miroir pour Mithridate sont prestigieux. En effet, le Philippeion est un monument édifié par Léocharès à la demande de Philippe II de Macédoine après sa victoire à Chéronée contre la coalition grecque menée par Athènes et Thèbes. Philippe y est représenté déifié. Sur un de ses côtés, sa femme Olympias et son fils Alexandre, de l’autre ses parents. Suivant ce modèle, Invernizzi suggère que la Salle ronde est peut-être devenue le premier monument célébratif des souverains arsacides. La corrélation entre l’art hellénistique originaire de Macédoine à Nisa serait perceptible également dans les ornements et même les petites statuettes en métal. Enfin, que la Salle ronde soit l’œuvre de Mithridate ou d’un successeur est d’une importance relative : dans un cas comme dans l’autre, elle rend hommage au fondateur de l’Empire parthe et rend gloire à la dynastie arsacide.
La fresque
Malheureusement, nous disposons de trop peu de fragments de la fresque pour tirer des conclusions solides. Néanmoins, un détail révèle l’origine grecque du peintre – les premières lettres de son nom. Il aurait été originaire d’un royaume grec d’Asie. Mais d’autres fragments nous livrent des détails qui corroborent les hypothèses de l’auteur – l’influence ou le modèle hellénistique d’une part, les spécificités de l’art arsacide d’autre part – : deux groupes de cavaliers vêtus de tenues iraniennes se livrant bataille. La composition de la narration prendrait son origine dans la mosaïque d’Alexandre à Pompéï, celle-là même qui relate la victoire du roi de Macédoine à la bataille d’Issos, contre Darius III. Il faut préciser ici qu’Invernizzi relève une invention originale : l’utilisation d’un filet ou d’une grille. Il souligne également le linéarisme et le contour net des silhouettes.
Les rhytons d’ivoire
Ils sont très importants car ils illustrent l’évolution dans le temps de l’art à Nisa. On y a sculpté des scènes complexes. Le même sujet a été réalisé de différentes façons par différents sculpteurs. Invernizzi se réfère à ce sujet aux travaux de Pappalardo : une homogénéité sur le plan fonctionnel, mais des différences significatives de facture dans le temps. Les rhytons mettent en lumière les étapes principales de l’évolution progressive, à travers les âges, des aspects formels. De fait, ces magnifiques objets permettent au chercheur d’avoir une lecture qui s’inscrit dans une double perspective :
- greco-asiatique, abondamment nourrie par une profusion de sources,
- irano-asiatiques, plus difficiles car les informations sur les conceptions arsacides sont peu abondantes.
Les rhytons offrent presque une synthèse du propos de l’auteur de l’article. Il les définit comme greco-asiatiques, c’est-à-dire comme l’expression d’un royaume grec d’Asie centrale satisfaisant les besoins des commandes royales iraniennes. Plus encore, ils offriraient la compréhension de l’art arsacide des siècles avant Jésus-Christ, et dans ces cas, l’on peut affirmer que l’art arsacide coïncide avec l’art parthe. Voilà qui amène d’autres remarques, pose d’autres questions, soulevées notamment par la position très frontale, ferme, rigide, du flutiste, attitude appréciée à l’ouest de l’Empire, mais que l’on retrouvera également plus tard, sur les pièces de monnaie notamment, et pas uniquement dans les provinces occidentales. La culture hellénistique aurait donc pénétré d’avantage encore l’Empire parthe. Des questions qui font prendre au mot histoire tout son sens, historia, « enquête ».
Invernizzi n’invite pas seulement à réviser, à redéfinir et mettre à jour, la perspective de la relation entre art arsacide et art parthe, mais bel et bien à investir d’autres lignes de l’activité artistique au centre et à la périphérie de l’Empire parthe. Peut-être pourrions-nous ajouter qu’à la lecture de cet article, il semblerait que Nisa illustre les rapports des Grecs d’Asie, des monarchies hellénistiques, avec l’Empire arsacide. Non seulement les Grecs d’Asie ont pu conserver leurs spécificités culturelles fortes, mais en plus, ils ont continué à propager l’hellénisme – à helléniser les provinces de l’ouest de l’Empire ? Quant aux Arsacides, ils se sont pleinement appropriés les aspects fonctionnels de cette culture pour servir et sublimer leur pouvoir.
Jean-Baptiste Chikhi-Budjeia